c'est si peu dire que nous t'aimions

Publié le par ronan kerrest

Comme ma gorge était nouée et ma plume gelée, j'ai choisi de vous livrer le texte de mon ami Philippe Stierlin...


Jean, mon Jean, notre Jean,

comme tu l’avais chanté,

 

« tu aurais

pu vivre encore un peu »

 

. Tu nous

étais si précieux. Ce n’est pas très

sympa (tu as vu, je n’ai pas écrit

« cool ») d’envoyer ce message à

tes amis et de partir toi-même trop

tôt. Tu aurais pu m’éviter d’écrire

cette chronique que je redoutais

tant et que je repoussais comme

on éloigne la mort. Je me disais

 

« Allez, il vaudrait mieux que je lui

taille un costume de son vivant plutôt

que de lui écrire une nécro.

».

 

 

« Les idées de Jean Ferrat

ont deux atouts : sa voix et sa

moustache. »

 

C’est tout de même

mieux que d’attaquer ainsi, comme

ces réactionnaires et cette grande

bourgeoisie que tu combattais :

 

« La moustache de Jean Ferrat a

un défaut : ses idées »

 

 

« Tu sais, c’était un vieux monsieur

»

 

 

« de

rien »

 

, ceux qui sont aux antipodes

de la simplicité, de l’humilité, de

l’Humanité… Tiens, ils me rappellent

ta chanson

 

 

« Pauvre Boris »

(1966) qui rend hommage à Boris

Vian :

« Tu vois rien n’a vraiment changé

Depuis que tu nous a quittés

On va quitter ces pauvres mecs

Pour faire une java d’enfer

Manger la cervelle d’un évêque

Avec le foie d’un militaire

Faire sauter à la dynamite

la Bourse avec le Panthéon

Pour voir si ça tuera les mythes,

qui nous dévorent tout du long. »

Comme celui de millions de

femmes et d’hommes, dont la vie

s’écoule sous le joug du capitalisme,

de ses rapports sociaux

d’une rare violence, de son chômage,

de sa précarité, de son saccage

de la planète, mon chagrin

est solitaire, unique, infini. Et pourtant

il est collectif, pluriel, terrestre.

J’ai retrouvé ce dimanche, pour

éloigner cette peine qui ne partira

sans doute jamais, une lettre de toi,

ancienne, adressée à plusieurs.

Elle se termine ainsi : « Au-delà de

ces mots, recevez toute l’affection

qui les accompagne en sourdine,

cette affection qui vient de loin,

qui n’est sans doute pas prête de

s’éteindre et qui n’est sans doute

qu’un souffle d’amitié ». Je me permets

de partager ces mots.

Ton communisme n’était pas de

caserne et ton humanisme de chapelle.

Mon sentiment est que tu

étais communiste sans te résumer

à cela. Tu l’étais sans être membre

du PCF. Je le dis en pensant que

c’est juste, sans intention de récupérer

ou de blesser quiconque. Aux

temps des cerises lequel il faudra

bien qu’il vienne, au moment de

ce XXIe siècle qui pour moi commence

aujourd’hui, aux jours où le

fil avec l’organisation révolutionnaire

du XXe siècle fondée avec

audace en 1920 se rompt pour plusieurs

d’entre nous (ou s’est déjà

rompu), je me souviens du couplet

et du refrain de ta chanson Le bilan

(1980).

« C’est un autre avenir qu’il faut

qu’on réinvente

Sans idole ou modèle pas à pas

humblement

Sans vérité tracée sans lendemains

qui chantent

Un bonheur inventé définitivement

Un avenir naissant d’un peu moins

de souffrance

Avec nos yeux ouverts et grands

sur le réel

Un avenir conduit par notre vigilance

Envers tous les pouvoirs de la terre

et du ciel

Au nom de l’idéal qui nous faisait

combattre

Et qui nous pousse encore à nous

battre aujourd’hui »

Le temps court et vient le moment

redouté de te quitter. Oui, demain,

nous défricherons les chemins

d’une révolution démocratique.

Pour une vie simplement humaine

sous le soleil, en route vers un quotidien

plus beau et dans la douceur

de notre mortelle condition. C’est si

peu dire que nous t’aimions.

Philipe Stierlin

. Non ! Tu étais un Monsieur.

Si tu les voyais, depuis que tu as

fermé les yeux, s’incliner devant

toi, ceux qui se croient les plus

forts et vivent des révérences qu’ils

font aux puissants, qui disqualifient

l’engagement militant, qui méprisent

les gens qu’ils nomment

 

.

Voilà donc que tu as baissé le poing,

la voix, les bras. Tu nous avais dit

que tu voulais mourir debout, dans

un champ, au soleil. Non dans un

lit aux draps froissés. Il va nous

falloir reprendre ta chanson, vivre

et mourir debout. Tous ensemble.

En s’accompagnant de ces vins de

Chablis que tu aimais. Plusieurs

m’ont dit, façon de me consoler :

J’aurais commencé par cette

phrase:

 

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